Cette histoire est rapportée par Serigne Souhaybou Mbacke qui l’a recueillie auprès de Serigne Mbacké Diakhate. C’est ensuite qu’il la raconta à Serigne Moustapha fils de Serigne Saliou Mbacké en présence de deux d’autres personnes.
Serigne Touba s’est rendu à Dakar sur demande de Mr Merlin, le Gouverneur Général de l’Aof à l’époque ( 1919-1923). Mame Cheikh Anta Mbacké avait pris en charge l’intégralité du voyage. Il avait loué un train et avait payé entre 6 500, ou 5 030 francs ou bien 6530 francs à l’époque. Mais la somme qu’il avait payée n’était pas en dessous de 5 000 francs. C’etait un train qui intégrait une première classe. Mais avant le voyage, Serigne Touba avait exigé à ce que l’on enlève les sièges dans le wagon et qu’on y étale une forme de tapis sur lequel on y répandit de la terre tamisée et toute blanche. Il avait ordonné qu’on y installe des cruches remplies d’eau. Il avait dit qu’il ne veut pas consommer l’eau de Dakar. C’est pour cette raison qu’il avait exigé à ce que l’on remplisse les cruches d’eau qu’il consommerait pendant toute la durée de son déplacement à Dakar. De même, on lui a installé dans le wagon ses plumes, son encre et les feuilles qu’il utilisait pour écrire. En résumé, le wagon était à l’image d’une chambre de maison. C’est de cette manière qu’il a voyagé dans le train aller et retour.
Avant qu’il ne parte, le bruit a couru et les Mourides pensaient que les colons allaient le déporter à nouveau comme c’était le cas en 1895. C’est ainsi qu’ils sont venus en masse à la gare Diourbel afin d’en découdre avec les colons. Ils avaient apporté avec eux des pierres, des pelles , des gourdins et s’étaient massés au niveau de la gare. L’administration coloniale était tellement dépassée qu’elle a usé d’un subterfuge pour contenir la colère intense des Mourides. Elle a du faire comprendre aux Mourides que la voiture transportant Serigne Touba était repartie vers sa maison et que Serigne Touba ne partait plus à Dakar. Rien que pour les calmer. Par la suite , la voiture a fait un détour tout en empruntant le chemin du train qui attendait Serigne Touba sur un point du parcours loin de Diourbel. C’est ainsi que Serigne Touba a pu monter dans le train pour se rendre à Dakar.
Lorsqu’il arriva dans le palais du Gouverneur Général en présence de ce dernier, la première chose que Serigne Touba fît c’est de prendre le bouilloire et d’arroser la chaise qu’on lui avait réservée jusqu’à ce que l’eau coule à même les carreaux. Ainsi, il déposa un tissu blanc sur la chaise et posa par dessus le Coran qu’il avait entre ses mains. Alors, il marcha, étala son tapis et pria des rakas. Quand il a fini de prier , le Gouverneur général lui demanda ? « Pourquoi avez-vous arrosé la chaise ?» Il répondit : « Le Coran est un livre noble et sublime. C’est pour cette raisons que je dois le déposer sur une chose propre. Et il se trouve que Dieu nous a dit dans le Coran que vous êtes souillés.» Le Gouverneur Général lui demanda encore ceci : « Pourquoi avez-vous prié ici tout en sachant que ce lieu n’est pas une mosquée ?» Serigne Touba répondit : « C’est parce que vous l’avez tellement bien aménagé et décoré qu’il mérite qu’on y adore Dieu. Et je sais que vous n’y avez jamais adoré Dieu. C’est pour cette raison que je prie ici.»
Le Gouverneur Général lui dit : « Si je vous ai convoqué ici c’est parce que le gouvernement français nous a ordonné de vous demander votre besoin le plus cher afin qu’il puisse le satisfaire. » Serigne Touba répondit : « J’aurai pas besoin de vous le dire car non seulement vous en n’avez pas les moyens, mais vous en êtes incapables. Celui qui est capable de satisfaire mes besoins , Il l’a déjà fait. Le Gouverneur Général lui dit : « Nous vous remercions et nous sommes satisfait de vous .» Serigne Touba répondit : « Si vous me remerciez tout en manifestant votre satisfaction envers moi, sachez que de mon côté je ne vous remercie pas et je ne serai jamais satisfait de vous.»
( Source Serigne Souhaybou Mbacke, racontée par Serigne Moustapha fils de Serigne Saliou Mbacké, traduction M.Moustapha Diop)